Mixer les profils pour améliorer votre Return On Innovation (ROI)

Mixer les profils pour améliorer votre Return On Innovation (ROI)

Lors de « 360 Possibles » à Rennes en 2014, Vincent Sincholle présentait son travail de Directeur du Design Lab de Neovia comme l’art de « faire collaborer ensemble des cols blancs et des sweats à capuche ». Cliché ? Pas tant que ça. Dans des contextes d’open innovation, trouver les bons profils et composer les bonnes équipes innovation relève d’un subtil dosage et d’équilibres à faire vivre. Comment créer le bon « mix de profils » au service de la réussite des projets ? Pour nous éclairer, Yves Quéré, enseignant-chercheur à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), et fondateur, notamment, de l’UBO Open Factory, un atelier ouvert d’innovation pluridisciplinaire, nous fait part de son expérience.

 

Valorial : Vous souhaitiez nous apporter 2 retours d’expériences, dans des contextes différents, pour illustrer l’intérêt de mixer les profils et les disciplines pour améliorer la performance des processus d’innovation.

 

Yves Quéré : Tout d’abord, je tiens à préciser que je ne suis pas un expert des processus d’innovation, je place donc ces témoignages en tant qu’utilisateur de ces processus, dans des situations atypiques de travail académique. 

 

Un laboratoire commun pour améliorer le processus d’innovation de Thales

 

Premier exemple intéressant dans un contexte collaboratif : le laboratoire commun avec Thales Optronique que je dirige avec pour l’essentiel, des chercheurs du laboratoire Lab-STICC et des salariés du service Recherche et Innovation et du service Industrie de Thales. Il a été initié par Thales Optronique avec la volonté d’innover dans ses produits. Il a la particularité d’être très large au niveau des disciplines puisqu’il traite de systèmes complets, comme par exemple le numérique, l’électromagnétisme, la mécanique.

 

Des disciplines éloignées pour une vision plus large

 

Ce labo créé en janvier 2016 est aujourd’hui, composé d’une trentaine de personnes, une vingtaine côté académique et une dizaine côté industriel.

 

Côté académique, il mélange des chercheurs qui n’ont jamais travaillé ensemble et qui parfois ne se comprennent pas du fait de l’éloignement des disciplines.

 

Côté industriel, il mixe le service Recherche et Innovation et le service Industrie, souvent éloignés en termes d’activité. L’un visant un horizon à 10 ou 20 ans et l’autre la vente de produits de quelques mois à quelques années. La volonté a été d’aller dans l’innovation de rupture, ce qui remettait en cause l’ensemble du système et des règles habituellement utilisées par l’industrie.

 

On voit que le mélange des publics est ici ainsi indispensable pour le processus d’innovation car il impose une compréhension du système à différents niveaux : la vision de l’application, la vision des contraintes des sous-ensembles, la vision technologique et des niveaux de maturité à atteindre pour passer de l’amont à une production. C’est très complexe.

 

Un démonstrateur pédagogique favorisant la compréhension mutuelle et l’innovation

 

Pour faciliter le processus d’innovation, un démonstrateur pédagogique, modulaire et évolutif a été créé, permettant à tous de comprendre facilement les problématiques de chacun des sous-ensembles. Ainsi, à chaque avancée du laboratoire commun, un sous-ensemble peut être installé dans le démonstrateur et permet de communiquer avec les autres. Ce qui offre plus de potentiel aux autres membres pour innover dans leur domaine disciplinaire respectif. Côté académique et côté industriel, cette démarche est très riche et permet, en plus d’une innovation de rupture du système, d’innover aux interfaces disciplinaires ou des sous-ensembles du systèmes.

 

C’est également un vecteur pour rapprocher les équipes et attirer plus de monde à travailler dans le laboratoire commun.

 

Un écosystème d’acteurs pour améliorer le Return On Innovation

 

Pour terminer, le public a été élargi pour répondre à une problématique importante dans le processus d’innovation qui correspond à un blocage dans l’écosystème collaboratif.

 

En effet, si le laboratoire académique en collaboration avec l’industriel peut proposer des technologies innovantes amont, le problème pour Thales dans ce cas, est d’avoir des capacités de production de ces technologies innovantes. Il a donc été rapidement proposé de rajouter une PME dans le consortium, ce qui a permis au laboratoire académique de faire un transfert de savoirs vers la PME, qui poussera la technologie jusqu’à un niveau industrialisable, indispensable pour Thales. Il ne s’agit pas seulement ici d’un transfert de savoirs, puisque la PME, du fait de sa compétence en production, peut influer dès le départ sur les choix amonts qui sont proposés. Ce laboratoire commun, associant un grand groupe et un grand laboratoire académique et en collaboration avec une PME, constitue donc un bel écosystème d’acteurs pour améliorer les processus d’innovation.

 

 

Le laboratoire ouvert d’innovation pluridisciplinaire de l’Université de Bretagne Occidentale

 

Deuxième exemple : l’UBO Open Factory, un laboratoire ouvert d’innovation pluridisciplinaire de l’UBO que je dirige également. Il a été créé en septembre 2015 et s’inspire du modèle des fablabs et des espaces collaboratifs « tiers-lieux ». Ce lieu met à disposition des outils traditionnels, mais aussi des machines à commandes numériques tel que des imprimantes 3D, des fraiseuses numériques, des scanners 3D, etc.

Un laboratoire pour tous élargissant le potentiel des innovations

 

L’UBO Open Factory est un atelier multiculturel, véritable carrefour entre l’enseignement, la recherche et le milieu socio-économique. Il touche donc un public très large : tout usager de l’UBO (étudiants, enseignants, personnels administratifs et techniques, chercheurs) et des collaborateurs extérieurs (particuliers, industriels, associations, collectivités). Il est également transversal en termes de disciplines. C’est un service général de l’université, qui rassemble l’ensemble des facultés et laboratoires (santé, sport, éducation, sciences et technologies, lettres et sciences humaines, la mer, etc.) et qui collabore fortement avec l’EESAB, l’Ecole Européenne Supérieure d’Arts de Bretagne (Arts et Design).

 

Il propose notamment à ses usagers un espace de travail coopératif, un espace de prototypage, et un espace de formations. Il vise en particulier l’ouverture et la mixité des publics pour favoriser l’apprentissage, l’innovation, l’entrepreneuriat et de manière générale, l’employabilité. L’innovation est ici potentiellement plus large. Elle peut être technologique, d’usage ou de service par exemple. La multi-disciplinarité, avec des disciplines très éloignées, comme les sciences humaines, le design et les sciences et techniques, apporte une nouvelle vision de produits ou de service et permet ainsi d’innover à différents niveaux. En fonction du processus collaboratif mis en place dans une équipe projet, une discipline peut remettre en question un usage ou une technologie.

 

Voici un exemple assez marquant sur des projets de designers qui, avant de se mettre en équipe avec des étudiants de biologie et d’électronique, se cantonnaient à des projets très amont, innovant potentiellement dans les usages, mais trop peu aboutis pour convaincre d’un point de vue faisabilité. La mise en collaboration avec des étudiants de l’université, de disciplines différentes, a pu permettre de pousser des projets beaucoup plus loin, jusqu’à pouvoir commencer à penser la création d’une activité sur le projet.

 

Favoriser la rencontre pour favoriser les innovations

 

La co-construction de projets entre équipes multi-disciplinaires, nécessitant cette fois d’y associer des méthodologies d’intelligence collective ou de Design Thinking, permet d’aller encore plus loin dans le processus d’innovation. Outre la multi-disciplinarité, les autres bénéfices à souligner sont par exemple le mixage inter-générationnel, inter-culturel, le mélange de publics valides et en situation de handicap, des académiques (étudiants, enseignants, chercheurs), des personnes du milieu socio-économique. Toutes ces personnes, ayant des expériences différentes, des objectifs potentiellement communs, vont se retrouver dans un même espace et vont pouvoir partager leur expérience. Chacun va ainsi en tirer quelque chose, des idées d’ordre technique, des usages, de la connaissance de réseaux, du fonctionnement des entreprises, de la ville, etc.

 

Chaque usager peut ainsi expérimenter son projet à travers une coopération que nous facilitons dans l’espace à travers des temps dédiés au partage en plus des temps de rencontre dues au hasard des rencontres. Cette facette de la coopération et du mixage des publics permet une meilleure connaissance du fonctionnement du milieu économique, des problématiques de chacun en fonction de situations personnelles qui peuvent être très variées, et ainsi proposer un meilleur positionnement à son projet pour l’avoir confronté avec un public très divers et multi points de vues.

 

Yves-QUERE

Le mixage des publics pour améliorer les processus d’innovation sont ainsi pour moi évident aujourd’hui à travers ces deux expériences très différentes. Toutefois, il est nécessaire d’y ajouter des méthodologies ou outils de facilitation permettant d’aboutir à une réelle collaboration en vue d’innover. Le mixage des publics doit d’abord passer à mon sens par une volonté commune d’aller dans le même sens avec des intentions bienveillantes partagées par le collectif.

 

Yves Quéré

 

 

Découvrez d’autres témoignages lors du colloque Valorial le 30 novembre 2017 à Pacé.

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