Le rôle des protéines dans la lutte contre la sarcopénie

Le rôle des protéines dans la lutte contre la sarcopénie

Stéphane Walrand, chercheur à l’Inra de Clermont-Ferrand, a abordé le rôle des protéines dans la lutte contre la sarcopénie lors de la première journée des 15e Entretiens de Nutrition de l’Institut Pasteur de Lille.

Valorial Nutrition : Comment définit-on la sarcopénie ?

 

Stéphane Walrand : Le vieillissement se caractérise par une modification de la composition corporelle ; en particulier, on constate une augmentation de la masse adipeuse et une diminution de la masse maigre. Le terme « sarcopénie » fut initialement défini en 1989 par Rosenberg comme la perte de masse musculaire squelettique liée à l’âge. Cette définition purement quantitative a ensuite évolué vers une définition associant à la diminution de la masse musculaire, l’altération de la force et de la qualité musculaires. De nos jours, la sarcopénie correspond audéclin de la masse et des fonctions musculaires squelettiques avec l’âge(Walrand et al., 2011). La perte progressive de la masse musculaire peut atteindre 11 kg entre 30 et 80 ans.

 

Quelles peuvent-être les conséquences de la sarcopénie chez le sujet âgé ?

 

La perte musculaire aboutit à de nombreuses conséquences fonctionnelles et métaboliques. Elle s’accompagne d’une réduction de la force et, par conséquent, participe à la perte d’autonomie et au risque de chute chez le sujet âgé.

 

D’autre part, le muscle est un réservoir d’acides aminés mobilisables en situation de besoin. De fait, la sarcopénie contribue à réduire les capacités de l’organisme âgé à répondre à un stress environnemental (infection bactérienne, inflammation,…).

 

La perte musculaire participe également à la réduction de l’activité physique au cours du vieillissement et donc au développement de l’obésité, de l’insulino-résistance et de l’ostéoporose chez le sujet âgé.

 

Quels sont les mécanismes impliqués dans ce syndrome ?

 

Même si de nombreux mécanismes ont été décrits concernant l’étiologie de ce syndrome, la perte de la masse musculaire avec l’âge résulte d’une perte protéique nette et donc d’un déséquilibre entre la synthèse et la dégradation protéiques musculaires (Walrand and Boirie, 2005 ; Walrand et al., 2011).

 

Au cours du vieillissement, il semblerait qu’une résistance à certains facteurs anaboliquesapparaisse, en particulier une résistance à la stimulation de la synthèse protéique musculaire par la prise du repas.

 

Dans quelle mesure la prise du repas influence-t-elle le métabolisme protéique musculaire ?

 

Au cours de la journée, les différents paramètres du métabolisme protéique musculaire fluctuent selon un profil cyclique impliquant l’état nutritionnel, en particulier la prise du repas. Lors des périodes de jeûne, le bilan entre synthèse et dégradation protéique est négatif et engendre une perte nette de protéines. Cette perte sera compensée par un gain protéique en réponse à l’apport alimentaire (périodes d’anabolisme caractérisées par un bilan positif entre synthèse et dégradation protéique).

 

Cette alternance entre phases de catabolisme et phases d’anabolisme permet le maintien de l’homéostasie protéique. La réduction de la masse protéique musculaire avec l’âge résulte d’un déséquilibre entre synthèse et dégradation protéique qui pourrait s’instaurer en particulier en phase postprandiale. Le gain protéique à la suite du repas ne compenserait plus les pertes de la période de jeûne et ce déséquilibre permanent aboutirait finalement à une perte progressive de protéines.

 

Quels sont les facteurs nutritionnels intervenant dans la régulation de l’anabolisme protéique postprandial ?

 

Jusqu’à très récemment, selon les scientifiques, l’anabolisme protéique de la phase postprandiale était nutritionnellement régulé essentiellement par les acides aminés issus des protéines alimentaires. D’ailleurs, un défaut de réponse à ces facteurs anaboliques au cours du vieillissement a été relevé. De nouvelles études cliniques et pré-cliniques ont néanmoins montré que d’autres facteurs nutritionnels, certains acides gras et micronutriments, semblent également interagir dans la régulation de l’anabolisme protéique postprandial, en particulier chez l’individu âgé. Il est à noter que le vieillissement semble s’accompagner d’une dérégulation des capacités d’adaptation musculaire à ces nutriments signaux, expliquant pour partie l’apparition et le développement de la sarcopénie du sujet âgé.

 

En particulier, quel est le rôle de la leucine ?

 

La leucine est un puissant modulateur de la synthèse protéique musculaire via une activation de la voie mTOR.

 

Une étude a montré que l’ingestion d’un mélange d’acides aminés essentiels comprenant 26 % de leucine ne stimulait pas la synthèse protéique musculaire chez le sujet âgé (Katsanos et al., 2006). Lorsque la teneur de ce mélange en leucine était augmentée à 41 %, la synthèse protéique musculaire était à nouveau stimulée chez les sujets âgés, et ce malgré une même quantité totale d’acides aminés essentiels ingérés. Dans cette étude, ni l’insulinémie ni le débit sanguin n’ont été modifiés, seule la teneur plasmatique en leucine a évolué d’environ 400 µmol/L (26 % de leucine) à environ 650 µmol/L (41% de leucine).

 

Chez l’Homme, il semble donc que le muscle développe une résistance anabolique à la leucine au cours du vieillissement.

 

En termes d’apport protéique, quelle stratégie nutritionnelle adopter pour améliorer l’anabolisme protéique postprandial ?

 

L’accroissement de l’anabolisme protéique postprandial en fonction de l’apport en protéines dans la ration alimentaire dépend de l’amplitude mais également de la durée de l’hyperaminoacidémie induite ainsi que de la vitesse d’apparition des acides aminés au niveau périphérique. La nature et la forme des apports en protéines, la synchronisation de leur ingestion avec les autres macro- et micronutriments ainsi que la répartition des apports au cours de la journée sont autant de paramètres qui conditionnent la cinétique d’absorption des protéines alimentaires et sont donc susceptibles d’intervenir dans le contrôle du métabolisme protéique musculaire. La modulation de ces facteurs pourrait donc être adaptée aux personnes âgées dans le but de favoriser l’anabolisme protéique postprandial.

 

Pouvez-vous expliquer la stratégie dite « de charge protéique » ?

 

Avec l’âge, l’extraction de la leucine alimentaire par le territoire splanchnique (foie et intestin) est doublée suite à l’ingestion d’un repas (Boirie et al., 1997b). Ce mécanisme pourrait limiter sa disponibilité pour le muscle et ainsi réduire la stimulation de la synthèse protéique postprandiale. Si on considère que l’augmentation des apports protéiques reste inefficace et non sans danger pour pallier ce phénomène (Walrand et al., 2008), une des stratégies nutritionnelles mise en place consiste à concentrer l’apport protéique journalier sur un seul repas. Ainsi, chez la femme âgée, l’ingestion de 80 % des apports protéiques journaliers en un repasprovoquait une amélioration de la balance azotée par rapport à un régime où l’apport protéique était distribué de façon équitable sur 4 repas (Arnal et al., 1999).

 

Le concept de protéines lentes ou rapides est-il utile dans ce cadre ?

 

Le défaut d’anabolisme postprandial observé au cours du vieillissement peut également être aboli par l’utilisation de protéines alimentaires à assimilation rapide. Plus précisément, à l’instar de la classification des glucides, les protéines se distinguent en fonction de leur vitesse de digestion, qui elle-même peut influencer le métabolisme protéique. Chez le sujet jeune, l’ingestion d’un repas constitué uniquement de protéines dites « lentes » (lentement digérées et absorbées comme les caséines) engendre un meilleur bilan protéique postprandial au niveau corps entier comparativement à l’ingestion d’un repas constitué uniquement de protéines dites « rapides » (rapidement digérées et absorbées comme le lactosérum) (Boirie et al., 1997a). Nous avons démontré que, contrairement à l’homme jeune, la consommation à court terme (10 jours) au moment du petit-déjeuner de 30 g de protéines rapides permettait, chez la personne âgée, d’améliorer l’anabolisme musculaire postprandial comparativement au placebo isoazoté contenant des caséines (Walrand et al., 2011b). Cette stratégie nutritionnelle semble donc prometteuse en termes de prévention de la sarcopénie chez le sujet âgé même si de nombreuses questions restent en suspens quant aux modalités de mise en application à long terme chez l’Homme.

 

Et en dehors de l’apport protéique, qu’en est-il des autres nutriments ?

 

En dehors de l’apport protéique, d’autres nutriments participent spécifiquement ou de concert avec les acides aminés, à la régulation positive (vitamine D, acide oléique) ou négative (acide palmitique) de l’anabolisme protéique musculaire chez la personne âgée. Ces concepts nouveaux sont en cours d’étude mais devront être pris en considération dans les années futures dans la définition des mécanismes de la sarcopénie, mais également dans l’étude des stratégies nutritionnelles permettant de combattre ce phénomène. A noter que de telles observations devront être prises en considération lors de la définition et de l’actualisation des besoins nutritionnels conseillés pour le sujet âgé.